Lady Angel Administrateur
| Sujet: Pourquoi avons nous honte et nous sentons nous coupable? Pourquoi n'arrivons nous pas à porter plainte? Dim 12 Mai 2013 - 5:11 | |
| Pendant des années j'ai pensé : je n'ai pas été brutalisée, je ne me suis pas débattue et en plus j'éprouvais de l'amour pour lui, où est le viol ? Pourtant, je voyais bien qu'il y avait quelque chose d'anormal, qui n'allait pas : malgré ses beaux discours et mon affection, je pressentais bien que ce qu'on faisait était monstrueux et contre nature. Alors en plus de la honte, j'ai culpabilisé. Je pensais à mes parents et à ma tante (sa femme) et je me sentais sale, indigne d'eux. J'avais l'impression de les trahir. Face à ce dégoût de moi-même, comment en parler et à fortiori, comment porter plainte ?
La honte et la culpabilité, mais aussi l'ambivalence et l'incompréhension sont des sentiments qui ne quittent jamais la victime car malgré les viols et la souffrance qu'il nous inflige, on peut continuer à éprouver de l'affection ou de l'amour pour son bourreau et ne pas vouloir qu'il se retrouve en prison « par notre faute ». On se retrouve alors tiraillé par des sentiments contraires qui nous dépassent : d'un côté, on voudrait que les viols cessent mais de l'autre, on s'accroche à cet amour et on a terriblement peur de le dénoncer : peur d'être placé en foyer s'il s'agit du père ; peur de ne pas être cru ou pire encore, d'être rendu responsable de ce viol, que certains disent "elle l'a bien cherché." Et surtout, on se dit que si on parle, on risque de faire éclater la famille, provoquer un divorce, pire encore, de l'envoyer en prison et ainsi de victime on deviendrait bourreau...impensable ! et pourtant, aussi difficile que cela puisse paraitre, il est essentiel de le dénoncer car il n'a pas le droit de faire cela. Il n'a pas le droit de t'imposer cette torture physique et morale. C'est lui qui a déclenché cette situation, c'est à lui d'en supporter les conséquences. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas de ta faute, tu n'es pas responsable.
Un merveilleux film montre bien ce sentiment de paradoxe et d'ambivalence ressenti par la victime face à son violeur : « le silence des églises » (voir lien plus bas) avec Robin Renucci et Robinson Stévenin. Lorsqu'on regarde ce film, vu de l'extérieur à l'age adulte, la manipulation perverse de l'agresseur saute aux yeux et nous met mal à l'aise, mais lorsqu'on est un enfant ou un adolescent, et qu'on vit cela de l'intérieur, on se sent tout naturellement complice et coupable, alors on ne peut que se taire et avoir honte. Ce film, sans fausse note, fait vraiment fait écho a mon histoire et décrit parfaitement la réalité.
Cet amour incompréhensible, paradoxal et ce désir de protéger notre violeur rappelle le syndrome de Stockholm, qui a pu être observé à de nombreuses reprises : les victimes de prise d'otage ou d'enlèvement vont s'interposer entre les truands et les forces de l'ordre, puis, une fois libérées, prendre leur défense en refusant de témoigner contre eux, et iront même les voir en prison comme s'il s'agissait d'amis ! Le syndrome de Stockholm correspond à un aménagement psychologique d'une situation hautement stressante, dans laquelle la vie de l'agressé (otage, victime) est en danger. L'apaisement de leur angoisse est trouvée dans l'identification à l'agresseur. C'est pourquoi désormais les otages sont soigneusement mis à l'écart, parfois pendant plusieurs jours, pour une "reprise en main" et éviter le développement de ce syndrome. Traditionnellement, on utilise le terme de syndrome de Stockholm pour les victimes de prise d'otage ou d'enlèvement, mais je pense qu'on peut légitimement l'étendre aux mineurs victimes de viol, du moins tant qu'elles restent sous l'emprise de leur pédophile. A ce syndrome peut se rajouter le complexe d’œdipe qui consiste pour les petites filles à désirer inconsciemment, coucher avec leur père et tuer leur mère. Si ce sentiment est tout à fait banal et légitime, en revanche, il n'est pas question pour l'adulte de céder, au risque de créer un grave traumatisme chez la jeune fille, surtout si elle n'a pas encore atteint la maturité sexuelle, malgré parfois des apparences trompeuses.
On mesure bien toute la complexité de la relation qui se crée entre la victime et son agresseur. Et c'est cela qui est profondément destructeur : car ce qui est terrible quand on est victime, c'est qu'on pressent bien que notre attitude et notre ressenti ne correspond pas à ce qu'il devrait être objectivement, c'est ce qui nous plonge dans l'incompréhension, la honte, la colère contre nous même et la culpabilité. En réalité, on s'invente une histoire d'amour pour survivre ou ne pas devenir fou/folle. Le pervers est intelligent et fin stratège : il met tout en œuvre pour nous faire croire à cette histoire. Il se sert de notre malléabilité, notre crédulité d'enfant ou d'adolescent pour nous faire croire n'importe quoi et ainsi faire de nous son objet sexuel.
Par ailleurs, le viol salie la victime : c'est le seul crime où non seulement la victime se sent coupable et honteuse, mais est aussi bien rendue suspecte au regard des autres. C'est la double peine. En outre, il s'agit d'un crime sexuel, il est donc délicat d'en parler, car cela touche à l'intime.
C'est toute cette culpabilité, cette honte, ce secret, ce tabou qui entoure le viol qui en fait une blessure si particulière, si difficile à avouer et donc à cicatriser et qui nous empêche de parler et de porter plainte : seulement 10% des victimes parviennent à porter plainte. | |
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